LA NUANCE

Depuis l'enfance, depuis la balle au prisonnier jusque dans mon lit, on m'a souvent demandé de choisir un camps.

Les faibles ou les forts, littéraire ou scientifique, vierge ou salope, Israël ou Palestine, l'Europe ou la mondialisation, homo ou hétéro, de plus en plus vite et de plus en plus souvent.

Rejeter l'un pour appartenir à l'autre, lâcher le débat pour honorer des divisions.

Réac ou éveillé pour alimenter les réseaux, auteur autrice, censeur ou libertaire, inscrivez vous quelque part, on en parle après.

Alors moi qui n'est jamais été pressé d'appartenir, qui n'aime rien tant qu'écouter les autres, raconter le flou intérieur, regarder la pensée en train de se faire, comme on regarde couler du café filtre, j'ai un peu peur.

Et si tout ce que l'on avait bossé pour bac philo , le doute raisonnable et la suspension du jugement étaient démonétisés?

Au profit d'un monde simpliste, radical, tailladé de frontières à l'arrache entre les genres, les gens, entre les idées, un monde inhabitable de positions et d'antagonismes où "je ne sais pas" ne serait plus une réponse mais une infâmie.

Alors simplifier c'est tentant, le réel d'une complexité déroutante, nous sommes déroutant, troublé, facetté comme du quartz, éperdu , changeant, blessé, amoureux, nous sommes impensables.

Mais simplifier c'est réduire, trancher dans le réel c'est mutiler, nous avec.

Et c'est cette part que dans l'impatience d'arbitrer nous pourrions abandonner, c'est la plus riche et la plus libre. C'est la NUANCE.

Faite d'hypothèses, de temps et de questions, la nuance est une lampe qui laisse apparaître le tracé singulier de nos routes, les raisons profondes, les cohérences soudaines entre les camps, de chatoyants revers de médailles, des rires et d'infinis dégradés dans les vérités.

Des couleurs inouïes auxquelles il faut encore chercher des noms.

La pensée en somme et la littérature.

Maria Pourchet écrivaine